La cuisinière de Castamar by Fernando J. Múñez

Auteur:Fernando J. Múñez [Fernando J. Múñez]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature
Éditeur: Charleston
Publié: 2022-06-15T00:00:00+00:00

Même jour, le 23 janvier 1721

Enrique se réveilla de très bonne humeur dans son domaine de Soto de Navamedina, bien en amont du Manzanares, et décida de prendre son petit déjeuner au lit – du chocolat bien amer et des œufs à la coque – comme il le faisait autrefois lorsque sa tête n’était pas un cimetière de projets ratés.

Il ouvrit ensuite son courrier, dont une majorité d’invitations à des soirées et autres rencontres mondaines qui ne l’intéressaient guère. Le seul message qui retint son attention était le mot qui portait l’écriture biscornue d’Hernaldo qui lui confirmait que Mlle Castro se trouvait en convalescence à Castamar et lui apprenait, et c’était là la véritable nouvelle, que le Nègre ne quittait pas son chevet. Don Gabriel donc. Enrique n’avait même pas envisagé la possibilité que Mlle Castro se rapproche de lui, mais à la réflexion, cela servait aussi bien ses plans que si elle séduisait le duc lui-même.

Après s’être habillé, il fit seller son cheval et se promena le long du ruisseau de Valdeurraca et, à son retour, s’exerça au tir au pistolet, ce qu’il faisait jusqu’à trois fois par semaine. Il était considéré comme l’un des meilleurs tireurs de Madrid. Avec un pistolet de duel bien calibré, il ne manquait jamais une cible à moins de vingt pas. C’était ainsi qu’il comptait en finir avec le grand don Diego, non sans l’avoir dépouillé avant et de son prestige et de son honneur. Le duc lui avait pris ce qu’il avait de plus précieux et cette perte avait fait de lui un homme impitoyable. Il se souvenait bien des longues heures d’été passées sur son domaine, lorsque le sort de la guerre était encore incertain et qu’il retrouvait sa très chère Alba avec le cœur empli de joie. Il l’avait rencontrée à une réception chez le duc de Medina Sidonia, et au premier regard, ils avaient éprouvé l’un pour l’autre cette inclination qui les poussait à se chuchoter des confidences. Elle avait un esprit vif pour les affaires de la cour et une sensualité aussi fine que son intelligence. Il était fasciné par son élégance, son attention au détail, ses gestes gracieux. Pas un jour ne passait sans que son parfum de rose et de jasmin ne lui manque, sans qu’il ne regrette son sourire séducteur et ses yeux perçants qui voyaient loin dans votre âme !

Il pensait encore à elle alors que son armurier amorçait le pistolet et qu’il jaugeait dans quelle mesure la force du vent pouvait dévier le projectile. Alors qu’il se targuait d’être un excellent juge de la nature humaine, il n’avait pas été capable de prévoir qu’Alba lui glisserait entre les doigts comme une brise fraîche du matin. Il visa la cible sur le marronnier en songeant une fois de plus qu’il avait été trop patient.

Un après-midi d’été, comme souvent, elle l’avait invité à prendre un chocolat pour l’informer des derniers ragots mondains, dont elle savait tout bien avant qu’ils ne paraissent dans la Gazette de Madrid.

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